Les mondes de Gotlib - Exposition - Musée d’art et d’histoire du Judaïsme - Paris - du 12/03 au 27/07/2014 - Compte-rendu de visite

BON SANG MAIS C'EST BIEN SUR
Le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme à Paris consacre une très belle exposition à l'oeuvre du dessinateur Gotlib


80 berges
L'exposition, qui coïncide avec les 80 ans de Gotlib, rassemble près de 150 planches originales ainsi que des archives photographiques, écrites et audiovisuelles.
L'approche est chronologique et thématique et retrace le parcours de l'homme et de l'artiste.

Une vocation
En 1962, Marcel Gottlieb fait ses débuts dans la bande dessinée au journal Vaillant et, trois ans plus tard, il entre à Pilote. Il adopte le nom d’artiste "Gotlib".
Dans le journal Pilote, il crée avec
René Goscinny la série «Les Dingodossiers». Cette rubrique innove, avec un humour basé sur le pastiche, la parodie et le langage. A l'arrêt des "Dingodossiers" en 1967, Gotlib crée seul la «Rubrique-à-brac». Il y développe ses thèmes de prédilection : les rapports entre le monde des adultes (cruel, vaniteux, absurde) et le monde des enfants (ainsi que des animaux). Gotlib invente des personnages impayables, oscillant entre le dérisoire, la tendresse et la mélancolie (Isaac Newton, la Coccinelle, le professeur Burp, les inspecteurs Bougret et Charolles, avec la réplique "Bon sang mais c'est bien sûr" lorsqu'une affaire criminelle est résolue).
Le sens du découpage est remarquable. Gotlib fait d'ailleurs souvent référence au cinéma dans ses planches.
 
Dérision
Gotlib adore la parodie. Dès ses débuts il va s'évertuer à pasticher les icônes, les enseignements et les rituels sociaux. Il inverse les rôles, retourne les situations, fait preuve de beaucoup d'autodérision. Son humour se fait tour à tour potache, tendre ou impitoyable. Les héros trébuchent, les perdants sont légion. L'absurde règne.
Vous pouvez admirer dans l'exposition deux des oeuvres de Gotlib que je vénère tant elles sont drôles, admirablement rythmées et parfaitement écrites : une présentation des thèmes de la science fiction avec un hilarant loser de l'espace et la désopilante parodie du Petit Prince de Saint-Exupéry.

L'esprit des lettres
Gotlib allie une exceptionnelle précision du dessin à un remarquable lettrage. Les lettres sont des dessins, elles informent sur le son et évoquent des idées. Le cadre des cases n'est plus étanche. Si à la fin des années soixante Philippe Druillet brise avec fracas la répétition habituelle des cases, Gotlib le fait lui aussi. Regardez comment il réinvente le format d'une page, se jouant des verticales avec une girafe.


La musique
Gotlib a de tout temps adoré la musique. Il adore "Georges Brassens". Sa passion explose dans "Hamster Jovial", publié entre 1971 et 1974 dans "Rock & Folk". Gotlib croque les têtes d'affiche de l'époque (The Who, Jethro Tull, Magma, Joe Cocker,...).


Hors limite
Gotlib repousse les limites et se pose en libertaire. Déjà dans "Rock & Folk", avec son personnage de chef scout "Hamster Jovial", Gotlib avait osé des attouchements entre adulte et jeune fille. Gotlib inverse les rôles, les jeunes scouts semblant autrement plus délurés et moins naïfs que leur chef.
Entre 1972 et 1975, avec Bretécher, Gotlib rejoint Mandryka pour publier, à eux trois, L’Écho des Savanes. Il fonde ensuite Fluide Glacial avec Jacques Diament et Alexis. Dans ces deux magazines Gotlib explore toujours plus loin les pulsions sexuelles et s'attaque aux icônes religieuses. Le racisme franchouillard en prend pour son grade avec le personnage de "Superdupont". L'hallucinant "Pervers Pépère" vient compléter la galerie avec bonheur.


Salaud de pourris

«J’avais huit ans, et je ne savais pas que j’étais juif moi-même.
A l’école, les copains ne parlaient que de ces pourris de youpins,
répétant probablement ce qu’ils entendaient de leurs parents.
Comme je ne savais pas trop qui étaient ces salauds,
j’avais tendance à opiner du bonnet, pour ne pas avoir l’air con.
Un beau jour, quand ma mère m’a cousu l’étoile jaune,
l’étoile de shérif comme disait Gainsbourg,
j’ai réalisé que je faisais partie des salauds de pourris de youpins en question.
Pour employer un euphémisme...ça m’a fait un choc".
Marcel Gotlib


Gotlib est né à Paris en 1934, dans une famille d’immigrés juifs de langue hongroise. Le père, Ervin Gottlieb, s'engage volontairement dans l’armée française en septembre 1939. En septembre 1942 il est arrêté par la police française et est déporté. Il sera assassiné le 10 février 1945 dans le camp de concentration de Buchenwald. Restés à Paris, Régine Gottlieb et ses enfants (Marcel et Liliane) échappent à une rafle en janvier 1943 en se cachant chez des voisins, les Swoboda. Marcel et Liliane resteront cachés chez des fermiers jusqu’à l’été 1944.

Je ne connaissais pas l'histoire de la famille de Gotlib. Cette exposition m'a permis de situer l'oeuvre de l'artiste, ses choix, son parcours d'homme, par rapport à son expérience traumatisante.

Gotlib a cessé de dessiner des bandes-dessinées à partir de 1986. Il s'est consacré aux éditoriaux de Fluide Glacial et à des illustrations ponctuelles.

En résumé cette exposition est une remarquable rétrospective de l'oeuvre de Gotlib, avec des documents très nombreux et des explications très claires.

J'ai adoré cette exposition. Quand j'étais enfant, j'empruntais (et réempruntais) à la bibliothèque municipale des titres comme les "Dingodossiers", la "Rubrique-à-Brac", "Cinémastock" (avec Alexis) et "Clopinettes" (avec Mandryka). Plus tard j'ai acheté des titres plus osés, comme "Dans la joie jusqu'au cou" (avec Alexis), "Hamster Jovial", "Rhâââ Lovely", "Rhâ-Gnagna" et "Pervers Pépére". Je lisais "Gai-Luron" dans Fluide Glacial. J'ai réalisé en lisant les explications dans cette exposition à quel point le langage de Gotlib m'a influencé dans mes propres oeuvres d'adolescents (quelques bandes-dessinées dans un carton) et à quel point son sens de l'humour m'a marqué à vie.
Merci Marcel.

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